Le Permis pour les compatriotes de Taiwan ou le déni du passeport taiwanais

Publié le par yann

Après que la loi martiale, imposée sur l’île de 1949 à 1987 et interdisant, entre autres, tout contact entre les deux rives du détroit de Formose, eut été levée, un vaste mouvement de délocalisation de l’industrie insulaire a conduit un nombre sans cesse croissant de Taiwanais à se rendre en Chine, voire pour plus de deux à trois millions d’entre eux à y résider. Mais un Taiwanais foulant le sol de la République populaire ne peut se prévaloir de son passeport : jusqu’en 2015, il recevait un visa spécial sur un document spécial, un petit livret de couleur verte d’une trentaine de pages, couramment appelé « Permis pour les compatriotes de Taiwan ». Aucun emblème national ne figurait sur la couverture du livret, et son intitulé occultait la République populaire de Chine, renvoyée à sa réalité géomorphologique – « le continent » –, le porteur étant nommé « résident de Taiwan » (Taiwan jumin), soit une identité locale détachée de toute référence à un quelconque Etat. Acheté ou renouvelé auprès d’une agence de voyages, dans une ambassade ou un consulat de Chine, voire à l’arrivée sur le continent, ce permis ne pouvait être délivré que sur présentation de la carte d’identité taiwanaise du demandeur. Par la force des choses, le recours au Permis pour les compatriotes s’est banalisé pour tous les Taiwanais travaillant et/ou résidant en Chine. Mais il n’était pas sans irriter ceux qui n’étaient pas contraints de voyager en Chine : un livret qui neutralise, par proscription, le document qui leur ouvre des droits d’entrée à l’étranger et qui tend, par là même, à aligner le statut de l’entité politique à laquelle ils sont légalement rattachés sur celui d’un Etat pleinement reconnu. Dès lors, tant qu’ils en avaient la possibilité, certains ont refusé d’aller en Chine faute de pouvoir présenter leur passeport. En outre, le déni du passeport taiwanais peut ne pas être sans conséquences matérielles, en temps comme en argent, lorsque son porteur ne cherche pas à se rendre en Chine mais simplement à bénéficier d’un vol moins onéreux avec correspondance dans un aéroport chinois. S’il est assez malchanceux pour devoir changer de terminal et s’il n’a pas été assez prévoyant pour se munir de sa carte d’identité taiwanaise, seul document lui permettant d’acheter le Permis pour les compatriotes de Taiwan, il risque, au mieux, de rater son vol, au pire, d’être renvoyé à son point de départ36. Mais force est de constater qu’au-delà des préjudices subis par ces voyageurs, la portée de ce type d’incident est avant tout symbolique car, en termes de liberté de circulation, les droits des Taiwanais à l’étranger n’ont cessé de s’élargir.

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